Pour la
machine de guerre nazie qui décide, finalement, de liquider les
juifs d’Europe, il ne doit pas y avoir de survivant. Ni pour
subsister – et donc enrayer la « solution finale » -,
ni pour témoigner. Tous ceux qui grimpent dans les trains ou les
camions en direction de Chelmno, Belzec, Treblinka ou Birkenau sont
destinés, quoi qu’il arrive, à être assassinés. La mort sera
immédiate ou différée mais elle ne lâchera pas prise. Une mort
massive et résolue administrée par les aristocrates du IIIe
Reich. Pourtant, ce « totalitarisme », censé s’immiscer
dans chaque pore de la société et exercer sur elle un contrôle
absolu, est un mythe idéologique. Aucun régime politique n’a
jamais accédé à cette autorité tentaculaire, même l’Eglise
catholique. Les hommes pensent, résistent, s’échappent, sabotent
et finalement détruisent un édifice bâti pour durer mille ans.
Parmi ces
hommes, un juif de Pologne et un juif grec d’Italie : Zalmen
et Shlomo.
Zalmen
Gradowski a été déporté, avec sa famille,
à Auschwitz-Birkenau en décembre 1942. Les siens furent gazés
immédiatement, lui affecté à diverses tâches avant de devenir
Sonderkommando.
« Celui qui se tient au seuil de la
tombe, écrira-t-il, c’est
moi. » Le témoin n’est point un
voyeur ; il est celui qui atteste. En mars 1945, son manuscrit,
en yiddish, est retrouvé sous la terre du crématoire III de
Birkenau par une Commission de l’Armée rouge : un carnet de
91 pages ainsi que deux autres pages enfermés dans une gourde en
métal. « Cher lecteur, tu trouveras en
ces lignes le récit des souffrances et des peines que nous, les plus
malheureux enfants du monde, avons subies au temps de notre « vie »
en cet enfer terrestre qui a nom Auschwitz-Birkenau. »
Résistant, il sera assassiné lors de la révolte du Sonderkommando
le 7 octobre 1944.
Shlomo
Venezia est arrivé, avec sa mère, ses sœurs
et 2 500 juifs déportés, le 11 avril 1944, sur la Judenrampe
d’Auschwitz-Birkenau. « Dés la
descente du train, les Allemands, avec leurs fouets et à force de
coups, ont formé deux files, envoyant les femmes avec les enfants
d’un côté, et tous les hommes sans distinction de l’autre. »
Une sélection classique, donc, bien que parfois irrationnelle et
opportuniste. Les archives du musée indiquent que seuls 320 hommes
et 328 femmes ont été enregistrés dans le camp. Les autres...
Après trois semaines de quarantaine, Shlomo intègre la baraque 11
du camp des hommes, entourée de barbelés et isolée : celle du
Sonderkommando.
« Qu’est-ce que ça veut dire
Sonderkommando ?
Commando spécial. Spécial ? Pourquoi ? Parce qu’on doit
travailler dans le Crématoire... là où les gens sont brûlés. »
Le 7 octobre 1944, la révolte avortée du Krematorium III sauve
Shlomo qui, le 18 janvier 1945, au moment de l’évacuation générale
du complexe d’Auschwitz-Birkenau, parvient à se faufiler dans les
colonnes de déportés de la « marche de la mort ».

Thierry
Flammant
- Zalmen Gradowski, Au cœur de l’enfer. Témoignage d’un Sonderkommando d’Auschwitz, 1944, Texto, Tallandier, 2009.
- Shlomo Venezia, Sonderkommando. Dans l’enfer des chambres à gaz, Albin Michel, 2007.
Magnifique texte, merci Thierry.
RépondreSupprimerIl y aurait toute une discussion à avoir autour de l'emploi du terme "totalitaire", mais ce n'est pas l'objet ici. Disons que le concept de totalitarisme, né pendant la guerre froide, sous la plume notamment d'Hannah Arendt, est largement remis en cause aujourd'hui par les historiens spécialistes du Troisième Reich (dont Johann Chapoutot) et de l'URSS de Staline, tant sa qualité heuristique s'avère limitée pour analyser et comparer des systèmes politiques qui, sur le fond, n'avait pas grand chose en commun.
RépondreSupprimerPourquoi, par ailleurs, parler d' "aristocrates du IIIe Reich" ?