vendredi 21 mars 2014

La voix des murs

Cracovie-Podgorze. Mur de l'ancien ghetto. 14 mars 2014. TF
Selon le géographe Michel Foucher, la construction d’un mur comme « configuration territoriale de l’interdiction » obéit à des fonctions distinctes : soit il empêche de sortir, soit il dissuade de sortir, soit il empêche de pénétrer (L’obsession des frontières, Perrin, 2007). Ces fonctions se retrouvent dans le mur d’enceinte de 3 mètres de haut édifié par les nazis autour du quartier de Podgorze pour y enfermer, à partir du 3 mars 1941,  15 000 juifs de Cracovie ayant échappé à la déportation quelques semaines plus tôt.



Cracovie-Podgorze. Ancien ghetto. 14/03/2014. TF
Le pianiste Wladyslaw Szpilman s’est heurté à un mur de ce type à Varsovie : « ... les rues du ghetto, et elles seules, finissaient toutes contre un mur. Il m'arrivait souvent de partir en marchant au hasard, sans but précis, et chaque fois j'étais surpris de buter sur l'une de ces barrières. Elles se dressaient là où j'aurais voulu continuer à avancer, m'interdisaient de poursuivre ma route, et il n'y avait aucune raison logique à cela. » (Le pianiste. L'extraordinaire destin d'un musicien juif dans le ghetto de Varsovie, 1939-1945, Robert Laffont, 2001).
Mais le mur nazi est aussi autre chose.
Il a une fonction antibiotique qui vise à isoler l’impureté comme le « cordon sanitaire » isolait la Russie bolchévique des Etats européens après octobre 17. Il clôture un réservoir dans lequel, peu à peu, on viendra chercher ses habitants pour les envoyer vers les centres de mise à mort de la région, dés juin 1942, après les avoir rassemblés place de la Concorde (devenue place des Héros du Ghetto). Il ceint, de ses briques noirâtres, un quartier destiné à devenir un mouroir en se réduisant sans cesse. Il empêche tout juif d’échapper aux balles des tueurs qui fusilleront des enfants le 14 mars 1943, au moment de la liquidation du ghetto, comme ils avaient exécuté 600 personnes en juin 1942. Le mur nazi est un dispositif de la « solution finale ».
Aujourd’hui, ne subsiste qu’un pan du mur noirci par le passage répété des véhicules. Sa forme rappelle les matseva des cimetières de Cracovie. Quelques fleurs s’y accrochent pour témoigner, pour se rappeler. On s’y attarde peu tant il est triste.

Cracovie-Podgorze. Ancien ghetto. 14 mars 2014. TF
Mais il y a les autres murs, ceux des immeubles, des cours, des petits entrepôts. Ils étaient là au moment des assassinats, des déportations et de la liquidation du ghetto. Ils ne parlent pas. Ils demeurent. Leurs squelettiques vernis ne parviennent pas à masquer l’érosion du temps qui passe et les empreintes successives des nouveaux habitants. Ils dessinent parfois, au contraire, d’étranges figures évocatrices. C’est pour cela qu’il faut pénétrer dans Podgorze, débusquer la rouille et le délavage, exhumer l’épaisseur et la vétusté entre les rues Piwna, Krakusa et Limanowskiego.
Thierry Flammant

1 commentaire:

  1. Bel article.
    Il manque un "s" à quelques à la fin du premier paragraphe.
    Les Juifs de Cracovie n'avaient pas tous été déportés dans le district de Lublin. Certains s'étaient dispersés dans la région après que le Gouverneur général de Pologne, Hans Frank, eut ordonné l'expulsion des Juifs de la ville au printemps 1940. C'est la raison pour laquelle il est difficile de faire l'histoire de leur assassinat.
    Seule une partie du quartier de Podgorze a été entourée d'un mur pour être transformée en ghetto.
    A la toute fin de l'article, je préciserais "entre les rues Piwna, Krakusa et Limanowskiego", car les personnes qui seront amenées à consulter le blog ignorent de quoi il s'agit.

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