mardi 29 mai 2018

Le Mémorial de Rivesaltes ou la concurrence des mémoires (par Hervé Debacker)

Le Mémorial de Rivesaltes ou la concurrence des mémoires dans le « Drancy de la zone Sud » (S Klarsfeld)
Dans le cadre du réseau des lieux de mémoire de la Shoah, les anciens ambassadeurs de la mémoire, venus de toute la France, ont participé au premier campus sur le thème de l’engagement au Mémorial du camp de Rivesaltes les 17 et 18 mars 2018.(pour découvrir ce réseau, allez sur http://www.ambassadeurs-memoire-shoah.org). Ce campus a permis de découvrir un mémorial tout à fait particulier, lui même inséré dans un lieu unique dans la mémoire de la Shoah en France.
Unique, le site du camp de Rivesaltes l’est par sa taille, à l’origine sur plus de 600 ha dans la plaine littorale. Le mémorial s’inscrit dans une petite partie du camp d’internement, 42 ha ayant été classés en 2000.
Unique, le site l’est aussi par son état, avec encore sur place une grande partie des baraques, certes en mauvais état, mais qui permettent d’appréhender l’ampleur du site et les conditions qu’ont subi les internés.
Unique, le site l’est par son histoire, une histoire de l’internement et de l’enfermement qui commence avec la seconde guerre mondiale et se termine en 2007 avec la fermeture du centre de rétention administrative.
A l’origine, en 1939, il y a un camp militaire, le camp Joffre, qui doit servir de camp d’aguerrissement des troupes, en particulier des colonies. Le site se prête parfaitement à cette fonction : la plaine est battue par la tramontane, l’environnement est aride, à tel point que le lieu a été surnommé « le petit Sahara » par les populations environnantes. Les baraques sont construites rapidement, dans des matériaux de mauvaise qualité (fibrociment etc…) avec peu de confort, quelques poinst d’eau potable. Dès 1940, ce sont 12 000 soldats qui y sont stationnés.
Avec la défaite de 1940, un tel camp devient inutile. Dans le cadre de la politique d’exclusion et d’internement de Vichy, une partie du camp militaire devient un lieu d’internement pour les réfugiés espagnols de la Retirada (55% des effectifs), les Juifs étrangers (40%) et les Tsiganes. Au total, entre janvier 1941 et novembre 1942, 17 000 personnes passent par le camp de Rivesaltes. Dans ce total, les femmes et les enfants sont majoritaires (2/3 des effectifs), les hommes ayant souvent été incorporés dans les groupements de travailleurs étrangers (GTE).
A l’été 1942, le camp de vient le « Drancy de la zone Sud », là où sont regroupés les juifs de la zone libre. Il ferme avec l’invasion de la zone Sud.
A la Libération, le camp sert à interner les personnes suspectées de collaboration, jusqu’à l’été 1945. Il sert jusqu’en 1948 de camp de prisonnier pour les soldats allemands (plus de 10000 au total).
L’histoire du camp rebondit avec la guerre d’Algérie, l’autre grande période de Rivesaltes. Rapidement, à partir de 1954, il sert de centre de conditionnement pour les troupes partant en Algérie, de lieu de formation pour les Français musulmans. Des nationalistes algériens du FLN y sont aussi enfermés (plus de 500 au total). De plus, à partir de 1962, il sert de camp de transit pour plus de 22 000 harkis et ce, jusqu’en 1977.
Le camp abrite aussi en transit des soldats coloniaux et leurs familles, de Guinée et d’Indochine.
Au total, plus de 50 000 personnes ont été internées à Rivesaltes. Tous se souviennent de conditions d’internement difficiles, marquées par le vent, l’aridité mais aussi le gigantisme du camp qui oblige chaque interné à parcourir des centaines de mètres simplement pour manger.

Comment faire un mémorial qui tienne compte de l’histoire si particulière de ce camp ?
Sur les côtés des bornes répondent au deuxième choix des concepteurs de la muséographie, celui d’une mémoire incarnée basée sur des témoignages d’internés. Les visiteurs peuvent ainsi entendre des internés des différentes périodes expliquer leur parcours, leur vie dans le camp. (photographie: H.Debacker)

D’abord, il faut souligner que ce mémorial est récent, inaguré en 2015. L’origine est dans la mobilisation de citoyens, d’acteurs locaux après que les archives du camp aient été découvertes dans une déchetterie locale et devant la menace que les baraques restantes soient rasées, notamment pour agrandir la zone d’acivité située en périphérie.
Le batiment, pensé par Rudy Riciotti (qui a fait le MUCEM), édifié sur l’ancienne place d’appel d’un ilôt du camp, est en partie enterré, ne dépassant pas dans le paysage les restes des baraques, ceux-là même qui permettent encore aujourd’hui de matérialiser le camp dans le paysage. Le visiteur doit descendre dans le mémorial, le batiment apparaissant de l’extérieur comme un vaste paralpipède aplati, en légère pente. L’idée pour l’architecte est découvrir le camp par « un monument siliencieux », peu visible qui enveloppe le visiteur dans une lumière douce, une ambiance tamisée.
A l’intérieur, quelle scénographie pour tenir compte de l’histoire du site ? L’idée a été de trouver un point commun entre les différents groupes internés dans le camp, celui d’une présence « qui n’était pas désirée, voulue ». Dans l’espace d’exposition, le centre est occupé par une très longue table centrale qui revient sur les différentes périodes du camp depuis 1939. On y trouve des photos, des dessins des internés, des documents. Cela permet de n’oublier aucun des groupes passés par le camp de Rivesaltes.
Hervé Debacker, professeur d'Histoire-Géographe au lycée de Pithiviers.
Vous pouvez accéder ici à l'article complet qui comporte d'autres photographies du site. 

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