mercredi 3 septembre 2014

Pithiviers, un camp disparu si présent ?

     Des camps d’internement de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers à Auschwitz Durant la Seconde Guerre mondiale, deux camps d’internement, à Pithiviers et à Beaune la Rolande sont ouverts dans le Loiret. Au départ, ces camps sont crées en 1939 par la IIIe République en prévision de la guerre contre l’Allemagne, dans l’idée d’y accueillir, des familles évacuées de la région parisienne. Avec la défaite de 1940, des milliers de soldats français y seront enfermés avant leur transfert vers des stalags en Allemagne.
En avril 1941, les Allemands demandent au gouvernement de Vichy de mettre en application le décret publié au Journal officiel le 4 octobre 1940, qui permet l’internement sans motif, par simple décision préfectorale, des « étrangers de race juive ». Le choix de ces deux villes s’explique par de multiples raisons : présence d’installations même si elles sont en partie inachevées (ex les équipements sanitaires), proximité de la région parisienne qui concentre une grande partie des Juifs en France, bonne accessibilité en chemin de fer (même si à Beaune la gare est de l’autre côté du bourg) et localisation dans une région agricole riche qui peut faciliter le ravitaillement des internés.
     A partir de là, l’histoire de ces camps dans le cadre de la Solution finale se déroule en deux grandes étapes.

  •  D’abord, en avril 1941, la pression des autorités allemandes et la politique de Vichy conduit à l’organisation de l’internement de 5 000 Juifs de région parisienne, tous des hommes. Le 13 mai 1941, des milliers de Juifs, des hommes étrangers, reçoivent un « billet vert », une convocation à se présenter accompagné le lendemain pour « examen de situation ». Le 14 mai, 3700 se présentent et sont retenus sur place, leur accompagnateur étant chargé d’aller chercher vivres et vêtements pour quelques jours. C’est la rafle du « billet vert ». Le même jour, à partir de la gare d’Austerlitz, 2000 sont acheminés au camp de Beaune la Rolande, 1700 à Pithiviers. Ils y restent internés pendant plus d’une année. Progressivement, les conditions de vie se durcissent, notamment à l’automne 1941 en même temps que s’opère l’accélération génocidaire (voir la conférence de G Bensoussan les étapes de la Solution finale) : les visites des familles se font plus rares, elles-mêmes subissent un accroissement des persécutions, le travail en dehors du camp est de moins en moins autorisé, pour être finalement interdit à partir de mars 1942. A partir du 5 juin 1942, ces hommes sont déportés vers Auschwitz dans les convois 2, 4, 5 et 6. Les convois 4, 5 et 6 partent directement des gares de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers pour Auschwitz. 
  •  La deuxième étape intervient à l’été 1942, alors que les camps ont donc été vidés des internés « du billet vert ». Après la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, entre 7600 et 7800 personnes sont acheminées dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande aux capacités insuffisantes. L’entassement est tel que les maladies se propagent dans des camps au double de leurs capacités prévues. La situation dramatique est accentuée par l’incurie de l’administration française des camps qui n’a pas prévu assez de nourriture, de couvertures, de médicaments. La saturation des baraques est telle qu’à Pithiviers 2000 personnes arrivées le 21 juillet sont entassées dans un hangar à côté du camp. A cette date, les autorités françaises sont en pleine négociation avec les autorités allemandes pour que les enfants de moins de 15 ans soient inclus dans les convois, alors qu’ils n’étaient pas réclamés par l’occupant. Finalement, à la fin juillet, afin de respecter leur calendrier prévu de départ des convois partant pour Auschwitz, les Allemands, qui sont responsables des déportations, amènent les autorités françaises à mettre en œuvre la décision de déporter les adultes. A Pithiviers et Beaune la Rolande, les gendarmes français séparent ainsi parents, principalement des mères, et enfants dans des scènes atroces, sous l’œil de l’occupant. Les enfants sont alors livrés à eux-mêmes dans des situations de détresse immense, matérielle, psychologique, soutenus par quelques personnes dévouées comme Madeleine Rolland, assistante sociale. Le 13 août, le RSHA [Office central de sécurité du Reich] autorise la déportation des enfants, mais interdit des convois uniquement composés d’enfants. Ils sont déportés dans plusieurs convois, entre le 15 aout et le 21 septembre 1942, directement à Auschwitz via Drancy, mélangés avec des adultes arrêtés dans le sud de la France. Pour tous les déportés du Vel d’Hiv, l’arrivée à Auschwitz se fait à la Judenrampe nouvellement mise en service, au Sud-Est de Birkenau en pleine campagne. A l’époque, Birkenau est un camp bien plus petit (seul le secteur BI est construit-voir le compte rendu de la conférence de Georges Bensoussan les étapes de la Solution finale). A côté des wagons, une sélection est opérée. Seule une minorité est conservée dans le camp de concentration, en fonction des besoins du camp. Les autres, enfants, femmes, personnes âgées, invalides… sont emmenées tout au fond dans les bois pour être assassinés dans les bunkers 1 et 2, centres de mise à mort par gazage. Leurs corps sont ensuite enterrés dans de grandes fosses à proximité. Aucun des enfants du Vel d’Hiv n’est revenu.

Monument à l’emplacement du camp de Beaune
 (Photo H Debacker 2014)
Depuis la fin de la guerre, la mémoire de ces événements a marqué les espaces de ces deux villes de manières différentes. A Beaune-la-Rolande, où le camp était à la limite du bourg, les baraques et le mobilier ont été vendus aux enchères par les Domaines, le terrain a vu la construction d’un lycée agricole. Un monument a été érigé proche de l’entrée de l’ancien camp.
L’ancienne infirmerie du camp de Pithiviers
(Photo H Debacker 2014)
A Pithiviers, l’espace du camp et des lieux d’internement est resté peu construit, comme par exemple l’emplacement du hangar noir aujourd’hui un carré de pelouse le long de la rue dite « de l’ancien camp ». Seule l’infirmerie du camp, un bâtiment en dur, n’a pas été détruite et est aujourd’hui un petit bâtiment d’habitat collectif.
Hervé Debacker.
Remerciements à Catherine Thion et Nathalie Grenon du CERCIL-Musée mémorial des enfants du Vel d’Hiv pour leur relecture attentive.

1 commentaire:

  1. En lien avec cet article sur le devoir de mémoire. Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de photographies brodées intitulée " Enfant de parents " sur les camps d’internement en France pendant la seconde guerre mondiale, dont le camp de Pithiviers. L'oeuvre " Enfant de parents " est à découvrir sur : https://1011-art.blogspot.fr/p/enfant-de-parents.html

    Et aussi une seconde série intitulée « Lettres mortes » sur la rafle du Vel ‘hiv et l’histoire de Marie Jelen, enfant déportée. La série "Lettre morte " sur : https://1011-art.blogspot.fr/p/lettre.html

    N’oublions pas aussi les camps français premier jalon vers les camps nazis ! C’est un sujet totalement méconnu, voire occulté par les français en général. L’art peut-il donner ou redonner la mémoire ?

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