dimanche 23 mars 2014

Auschwitz : quelle(s) représentation(s) pour quelle(s) réalité(s) ?

Auschwitz représente aujourd'hui l'horreur et l'aboutissement de la Shoah. Auschwitz est dans la mémoire un lieu emblématique du génocide des juifs d'Europe par les nazis. D'ailleurs, la date du 27 janvier, date anniversaire de la "libération" du camp d'Auschwitz, a été choisie comme «la journée de la mémoire de l'Holocauste* et de la prévention des crimes contre l'humanité» par les ministres de l'Education des pays membres du Conseil de l'Europe, bientôt suivis par les Nations Unies. Cette journée symbolise la barbarie nazie : c'est un lieu de mémoire partagée.
     A propos de cette date, le BO n°46 du 11 décembre 2003 précisait : «Il faut montrer que l'horreur s'inscrit dans une histoire qu'il convient d'approcher avec méthode, sans dérive, ni erreur». C'est en effet la difficulté lorsqu'on aborde cette question en ce lieu de mémoire commune : est-il vraiment connu dans sa réalité ?
    Auschwitz est un immense complexe de 40km² comprenant Auschwitz I, camp de concentration créé sur ordre d'Himmler le 27 avril 1940, Auschwitz II-Birkenau dont le chantier débute en octobre 1941 et camp devant à l'origine accueillir des prisonniers de guerre et Auschwitz III qui comprend le camp de Monowitz, ouvert en octobre 1942 auprès de l'usine Buna-Werke. Il faut y ajouter une multitude de camps auxiliaires implantés à proximité d'installations industrielles. Lorsqu'on se déplace sur cet immense lieu, on perçoit la difficulté à l'appréhender. En effet, le site est gigantesque et s'est beaucoup transformé entre 1940 et 1945** au gré des politiques pragmatiques de l'Etat nazi et des événements de la Seconde Guerre mondiale***.
     Dans cette immensité, Auschwitz II-Birkenau est souvent présenté comme le lieu d'extermination des juifs, avec la porte d'entrée symbolisant ce crime, ainsi que la Bahnrampe où se déroulait la sélection. Cependant, lorsque les visiteurs franchissent cette porte aujourd'hui et découvrent un ensemble de baraquements étendus sur 175 ha, ils entrent dans le camp de concentration d' Auschwitz II-Birkenau, et la Bahnrampe n'a été construite qu'au printemps 1944 pour les juifs hongrois.
     Le centre de mise à mort n'est pas visible : il est au fond du camp en limite du plan rectangulaire que devait être  Auschwitz II-Birkenau à l'origine. Les quatre Krematorium (chambre à gaz et crématoires) construits dès l'automne 1942 et mis en activité au printemps 1943 afin de rationaliser l'extermination des juifs sont détruits : on en voit les ruines. Et avant cette date ? Il faut sortir du camp d'Auschwitz II-Birkenau pour trouver ces lieux. Ils sont à quelques centaines de mètres : ce sont les Bunker I (Maison rouge) et Bunker II (Maison blanche). La plupart des déportés juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas ont été assassinés dans ces chambres à gaz provisoires. Il ne reste aujourd'hui aucune trace du Bunker I et seulement quelques ruines du Bunker II****.
     A  Auschwitz ont été déportés 1 100 000 juifs dont 1 000 000 ont été assassinés, des juifs de toute l'Europe. Donc, Auschwitz est bien le plus grand cimetière juif du monde ; encore s'agit-il de bien replacer ces assassinats dans les lieux et la chronologie réels. 80% des juifs assassinés n'ont jamais vu les baraques tant visitées aujourd'hui. De plus, notre mémoire ne doit pas occulter le génocide qui s'est déroulé à l'est de l'Europe avec les Einsatzgruppen dont les dernières études historiques évaluent à 2 millions le nombre de victimes, ainsi que les les juifs polonais qui représentent, en 1939, 1/3 des juifs d'Europe, et qui sont morts à Chelmno, Belzec, Sobibor et Treblinka, où 1 700 000 juifs ont été exterminés, sans oublier la mort dans les ghettos de 800 000 personnes. Ces morts représentent l'épicentre du génocide.
     Il ne s'agit pas ici de graduer sur une échelle l'importance d'Auschwitz, mais seulement de le replacer dans l'histoire complexe du génocide pensé par l'Etat nazi afin que notre mémoire et notre transmission de cette mémoire soient aussi exactes que possible.
Christian Demars.
* Cf Compte rendu de la conférence de Tal Brutman «De quelques questions de sémantique» par Hervé Debacker et Son Lê Nhu.
**  Cf Diaporama Auschwitz-Birkenau par Eric Magne.
*** Cf Compte rendu de la conférence de Georges Bensoussan «Les étapes de la «solution finale »».
**** Cf Article «Voir l'invisible» de Pierre Wardega.

1 commentaire:

  1. Deux petites rectifications : On peut lire dans les publications du Musée d'Auschwitz qu'Himmler aurait donner l'ordre de créer un camp de concentration à Auschwitz le 27 avril 1940 (et non le 2). Toutefois, l'historienne Sybille Steinbacher estime dans "Auschwitz, a history" (Penguin Books, London, 2005) qu'il est sans doute vain de chercher à dater avec précision un évènement qui s'est inscrit dans une suite de décision successives.
    La construction des grandes chambres à gaz - crématoires n'a pas débuté au printemps 1942, mais à l'automne, après qu'Heinrich Himmler a donné l'ordre d'incinérer systématiquement les corps des déportés juifs assassinés dès l'arrivée des convois et des prisonniers morts dans le camp.

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